Entre fantasme et réalité, que reste-t-il des mouvements sataniques en France?

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Rituels occultes, sacrifices sanglants, incantations du Diable… Ces caricatures du satanisme ne représentent pas la réalité de cette idéologie, qui connaît en réalité assez peu d’adeptes en France.

Depuis plusieurs semaines, la menace d’une secte secrète de satanistes s’attaquant à des chevaux plane sur la France. Des enquêteurs tentent d’élucider, en vain pour le moment, différentes affaires de mutilations d’équidés, survenues un peu partout en France. Parmi les pistes envisagées, celle d’une secte satanique.

« Certains faits rappellent des pratiques liées à des rituels sectaires et notamment dits sataniques », expliquait début septembre à BFMTV.com la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Elle ajoute toutefois qu’actuellement en France, « il semble que le décorum satanique soit un peu passé de mode. Il y a un potentiel de violence dans ces groupes mais celle-ci ne s’est pas exprimée depuis des années ».

Dans l’imaginaire collectif, le satanisme évoque le mal absolu, un phénomène dangereux, sombre, aux rituels sanglants et aux pratiques occultes. Mais les satanistes ne représentent en réalité en France qu’une poignée de personnes, et leur doctrine est assez différente de la caricature qui peut en être faite.

« Tous les satanistes ne sont pas des tueurs d’enfants »

« Le satanisme en France représente quelques centaines de personnes. 100, 200… C’est un petit mouvement », explique à BFMTV.com Massimo Introvigne, sociologue italien, directeur du Centre d’études sur les nouvelles religions (CESNUR). Un décompte partagé par Olivier Bobineau, sociologue, co-auteur de l’ouvrage Le Satanisme, quel danger pour la société? (2008, Flammarion-Pygmalion). « Au cours de notre enquête, nous en avions décompté une centaine », explique-t-il à BFMTV.com. Il s’agit presque exclusivement de personnes jeunes, âgées de moins de trente ans ou trentenaires.

« Il est avant tout nécessaire de rappeler que tous les satanistes ne sont pas des tueurs d’enfants et que beaucoup de rumeurs qui courent sur leurs pratiques et rituels sont souvent fausses et fruits de ouï-dire », explique la Miviludes dans le rapport de 2011 de la Miviludes, Le satanisme, un risque de dérive sectaire.

Il faut également éviter l’écueil caricatural sur leur apparence: porter des vêtements noirs, un pentacle, une croix renversée ou un tee-shirt du groupe de heavy metal Black Sabbath ne fait pas un sataniste. « Toutes les personnes qui écoutent du Black Métal ne sont pas satanistes, même si certains satanistes écoutent du Black Métal », explique Olivier Bobineau.

Dans le livre-enquête qu’il a supervisé, et qui compile trois ans de recherche sur le satanisme en France, quatre critères sont rassemblés pour définir un sataniste: d’une part se revendiquer comme tel, d’autre part connaître les doctrines satanistes. Il faut également pratiquer des rituels et faire partie d’un groupe de satanistes, de façon formelle ou informelle.

« Nous, satanistes, sommes nos propres dieux »

L’Église de Satan, fondée en 1966 par l’Américain Anton Lavey aux États-Unis, est par exemple ce qui se rapproche le plus d’un satanisme officiel contemporain, et d’autres institutions de ce genre existent. Contrairement aux stéréotypes, ces satanistes n’adorent pas le Diable et le mal, mais sont avant tout dans une démarche de défiance, de rébellion face à Dieu, la morale, et surtout dans une recherche absolue de liberté.

Le temple de Set, une autre organisation satanique, écrit par exemple que sa tâche est de « fournir un environnement dans lequel les individus découvrent, poursuivent et réalisent leur but et leur destin unique ». « Pour nous, Satan est le symbole qui convient le mieux à notre nature, charnelle de naissance », explique le site de l’Église de Satan, « il représente l’orgueil, la liberté et l’individualisme », traits que les satanistes reproduisent: « Nous, satanistes, sommes donc nos propres ‘dieux' ».

Les satanistes « poussent la liberté jusqu’au bout », développe Olivier Bobineau, ce sont des « individualistes forcenés, avec une exigence d’excellence libertaire. Ils ont une très haute estime d’eux-mêmes et se considèrent comme l’élite, une élite opposée à l’Église, dont les membres ont pour principal objectif de pousser leur liberté jusqu’au bout ».

Ces organisations restent toutefois assez mal implantées en France, notamment en raison d’un manque d’adeptes. Ainsi, le satanisme se décompose, selon la Miviludes, en de nombreuses microstructures, avec des pratiquants autodidactes, qui ne correspondent pas forcément à la définition des sociologues ci-dessus. Ils peuvent « se rapprocher de courants païens (druidisme, celtisme, néosorcellerie) », voire « de mouvances fascisantes », explique l’organisme du ministère de l’Intérieur.

La culture sacrificielle « pas très présente » en France

En conséquence, une grande variété de rituels peuvent exister. « Le rituel classique c’est la messe noire », explique à BFMTV.com Massimo Introvigne. « Il s’agit d’une inversion de la messe catholique », avec prêtre défroqué, symboles chrétiens inversés et draps noirs. « On célèbre Satan comme le libérateur en s’opposant à la morale chrétienne », explique le sociologue qui précise qu’il existe différentes formes de messes noires « de grands événements comme de petits ».

Dans Le Satanisme, quel danger pour la société, les chercheurs relèvent des rituels ayant par exemple pour but de modifier le cours des événements à venir, comme des rituels de compassion, pour aider certaines personnes ou soi-même, ou bien de destruction afin d’attirer le malheur sur quelqu’un. « Dans les faits, les rituels sont polymorphes, éclatés », écrivent les auteurs.

« Lors de ces cérémonies, occasionnellement, les officiants se scarifient et, de manière encore plus exceptionnelle, un animal tel qu’un chat ou une poule peut être sacrifié », est-il également écrit. Toutefois, ces rituels, très rares, sont condamnés par des organisations officielles: « en aucune circonstance un sataniste ne sacrifiera un animal », déclarait par exemple Anton Lavey.

« Les satanistes ont plutôt du respect pour les animaux, je n’ai jamais entendu parler de sacrifices d’animaux dans le satanisme actuel », explique Massimo Introvigne. « En France on est très loin de cela », confirme Olivier Bobineau, car « la culture sacrificielle n’est pas très présente » dans notre histoire.

Pour les deux sociologues, il est notamment impensable qu’une secte satanique soit à l’origine de l’affaire des chevaux mutilés. « Ça n’a pas de sens, le cheval n’a aucune symbolique dans l’histoire du diable, ce n’est pas un animal biblique », déclare Olivier Bobineau. De plus, les formations comme l’Église de Satan prône un respect de la loi de la part de ses membres. « Aller en prison c’est perdre sa liberté individuelle. Si on commet un délit ou un crime, on est donc exclu de l’Église de Satan », explique le chercheur.

« Les satanistes ‘extrêmistes’ ne sont pas satanistes »

Mais si le satanisme « classique » moderne obéit à certaines règles, en soi, n’importe qui peut se revendiquer sataniste, et agir en ce nom. Certains « s’autoproclament satanistes parce qu’ils disent mettre en œuvre des pratiques satanistes, empruntées ici ou là », explique la Miviludes. Et en ce sens « il peut y avoir des milliers de personnes qui se disent satanistes », déclare Massimo Introvigne.

« Souvent, ces jeunes bricolent un satanisme syncrétique à partir du matériau fourni par les films d’horreur, les séries fantastiques et les romans gothiques » ou à partir de textes trouvés sur internet, explique la Miviludes au sujet de ce qu’elle qualifie de « satanisme d’amateurs ». Ce bricolage peut toutefois conduire à « la pratique de cérémonies toujours plus déviantes (sacrifices de petits animaux) et l’adhésion à des groupuscules satanistes mieux organisés, agissant dans le secret et suivant des techniques entachées de sectarisme ».

Le risque est donc que ces personnes passent d’un satanisme « amateur » à un satanisme « extrême ».

En 1996, quatre personnes sont arrêtées après avoir exhumé le cadavre d’une femme de 77 ans à Toulon (Var). « Sa sépulture avait été retrouvée fracassée au cimetière central de la ville, un crucifix fiché, à l’envers, à l’emplacement du coeur », raconte Libération à l’époque. Le juge d’instruction déclare que les accusés sont animés par une « pensée anti-Christ ». La même année, l’Abbé Jean Uhl de Kingersheim (Haut-Rhin), est assassiné. David Oberdorf, âgé de 18 ans, revendique le crime, expliquant avoir été « possédé par le démon », et avoir eu « un flash satanique », rapporte alors Le Parisien.

Tombe taguée du mot "Satan" en 2008 à Elne, dans les Pyrénées-Orientales
Tombe taguée du mot « Satan » en 2008 à Elne, dans les Pyrénées-Orientales © RAYMOND ROIG / AFP

Pour les sociologues, l’attachement à Satan dans ce type d’actions ne peut pas être accordé d’emblée, sur simple revendication. Les « satanistes extrêmistes » – animés par la haine des religions, alors que les « modérés » sont dans un processus de critique – « ne sont pas satanistes », expliquent les chercheurs dans l’ouvrage mené par Olivier Bobineau. « Ils usent de la figure de Satan pour alimenter avant tout, leurs thèses politiques ultra-contestataires, profondément haineuses, fascistes, constitutant le fond de leurs conceptions idéologiques ». La symbolique satanique n’est alors qu’une façade avancée pour commettre le crime ou le délit.

« Même s’ils sont rarissimes, ces crimes existent »

« Il existe par exemple une mouvance nazi-satanique, mais si un crime est commis, est-ce sous le coup du satanisme ou du nazisme? », interroge Massimo Introvigne. « Il est aussi arrivé que des personnes tuent au nom du satanisme, déclarant qu’il s’agissait par exemple d’un sacrifice humain, mais il s’avère par la suite que le meurtre a été commis pour d’autres raisons » bien plus prosaïques, telles que des problèmes d’argent, ou une vengeance personnelle.

« De l’avis général, plusieurs facteurs de risque spécifiques pouvant entraîner le passage à l’acte criminel ou délictuel apparaissent déterminants: rupture familiale, rupture scolaire, usage de drogues, attitude psychologique fragile, emprise d’une tierce personne charismatique fréquentée par la victime », explique la Miviludes, qui demande toutefois de rester vigilant vis-à-vis de ces groupes.

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En somme, il est difficile de connaître l’impact réel du satanisme sur les crimes et délits commis en son nom, surtout face à des personnes en difficulté psychologique, servant une idéologie violente en parallèle ou au parcours de vie tourmenté.